L'inverse de l'humour, ce n'est pas le sérieux, c'est la soumission. ♡

« Oh ciel ma mie ! Prenez garde ! Le dragon est revenu !
-Protégez-moi mon prince !
-Il va tâter de mon épée ! Prends garde infâme créature de l’Enfer !
Le dragon cracha flammes et colère sur les deux jeunes gens. »
Des flammes orangées déferlèrent devant les spectateurs, éblouis, ils applaudirent la prestation de Stan, le cracheur de feu.
« Un terrible combat s’engagea entre le dragon et le vaillant prince mais un seul devait sortir vainqueur ! Allez les enfants, lequel des deux doit gagner ce combat ? Le dragon ou bien le prince ? »
Les cris des enfants retentirent joyeusement. « Le Dragon ! Le Prince ! »
« C’est d’accord ! Cette fois-ci, le dragon va gagner !
Les petites filles poussèrent des soupirs de mécontentement.
-Alors le dragon prit une grande inspiration, un, de, trois … »

Stan projeta une fumée noire devant les spectateurs puis un immense jet de flammes la transperça. Sans Stan, le spectacle perdait de l’intensité.  

« Et il brûla vif le prince charmant !
Certaines filles se mirent à pleurer, pour celles qui croyaient encore au prince charmant, entres autres : Les petites filles de nobles.
Mais une chose extraordinaire se produisit ! Le corps du prince, au lieu d’être réduit en cendres, se transforma en un monstre horrible, tandis que celui du dragon changeait. Il devint un prince, plus beau et tellement plus vrai dans ses sentiments. La princesse en tomba folle amoureuse et ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants et vécurent une très longue vie. »

Tous les enfants applaudirent et vinrent mettre quelques piécettes, généreusement offertes par leur riche parent, dans le chapeau sur le bord de l’estrade. Les spectateurs partirent, quelques-uns restèrent admirer le charmeur de serpents, Tom, ou Stan pendant que je rangeai le spectacle de marionnettes. En y repensant, cette histoire ne tenait pas debout, il faudrait être un méchant complètement stupide pour transformer son ennemi en dragon… Mais bon, l’essentiel était que cela plaise aux enfants, la logique, eux, ils s’en fichaient. Jugeant, d’un simple coup d’œil, nos maigres bénéfices, je décidai qu’il était temps de sortir le grand jeu. Je réajustai le nœud blanc autour de mon coup et vérifiai que mon masque loup vénitien, rouge et noir, était bien en place. J’enfilai ma veste longue, rouge avec des broderies dorées et posai mon chapeau haut de forme noir sur mon crâne. Il ne manquait plus qu’une chose : Les spectateurs. Je laissai mes deux compagnons préparer mon matériel et sautillai sur la place. Une petite fille se mit à courir dans ma direction, les enfants adoraient les déguisements et c’était principalement eux que je visais dans mes représentations, si les enfants étaient éblouis, les parents donnaient plus d’argent et revenaient avec des amis à eux. Je m’accroupis à la hauteur de la jeune fille, elle devait avoir six ans. Elle posa sa main droite sur mon masque en souriant. Elle me demanda si j’étais un clown. Je frappai dans mes mains deux fois et une sucette multicolore fit son apparition. Je la lui tendis et elle me regarda les yeux emplis d’étoiles. Je lui chuchotai que j’allais présenter un spectacle de magie, elle courut vers ses parents et me montra du doigt. Rapidement, je prenais connaissance de leur niveau de fortune. Vêtements de qualité, diamants véritables autour du cou de la mère, manières et façon de parler de nobles. J’avais touché le jackpot. Lors de tous mes spectacles, je choisissais une famille dont j’allais dépouiller chaque membre. Je ne m’attaquais qu’à des familles aristocrates qui possédaient or et bijoux à profusion. Je retournai sur la scène, la petite fille se débrouilla mieux que je ne l’avais prévu, ou alors ses parents étaient plus respectés que ce que j’avais imaginé. En tous les cas, lorsqu’ils furent devant l’estrade, tous les gens aux alentours regardèrent dans ma direction et se rassemblèrent face à moi. Voilà qui était absolument parfait. Plus de monde, cela signifiait moins de chance de se faire attraper. Cela étant dit, je ne me faisais plus attraper depuis mes douze ans. Je vérifiai que mes collègues avaient bien installé mon matériel avant de commencer. Faire de la magie était pour moi une seconde nature, j’avais commencé très tôt à apprendre des tours, j’étais agile de mes doigts et je savais parfaitement détourner l’attention, plus vous cherchiez le truc et moins vous le trouviez. C’était aussi pour cette raison que j’étais un bon voleur. La magie et le vol fonctionnaient exactement de la même manière.  

« Mesdames, messieurs, jeunes gens, aujourd’hui, je vais faire disparaître l’un d’entre vous, réalisé sans trucage, avec de la véritable magie, contrairement à tous les imposteurs que vous pouvez voir de nos jours. Il me faut un ou une petite volontaire pour ce tour exceptionnel ? »

Je claquai des doigts, attirant ainsi l’attention des jeunes enfants, la petite fille à qui j’avais offert la sucette se mit à rire. Je lui fis signe de venir, c’était elle que j’avais choisie. Elle se dirigea vers l’escalier qui menait jusqu’à la scène et monta comme une petite princesse. Elle était adorable, de jolies boucles blondes et de grands yeux bleus mais elle n’était qu’un sac de pièces d’or pour moi. Les enfants étaient mes cibles favorites et si cela pouvait paraître cruel, il fallait savoir que pour moi, un enfant était sacré et que je pouvais m’attaquer à eux sans toutefois leur faire du mal. Il suffisait de viser les personnes qui tenaient le plus aux enfants : les parents. Je lui souris, elle se plaça à côté de moi. Je m’accroupis à sa hauteur, plaça mes deux mains sur ses petits bras et fis discrètement glisser son bracelet en or dans ma manche.

« Je vais demander à ton père de nous rejoindre. Où est ton père, mon ange ?
Elle le pointa du doigt, l’homme en question devait avoir une quarantaine d’années et semblait visiblement irrité que sa fille ait décidé d’être le cobaye d’un vulgaire tour de magie. Les spectacles de rue n’étaient destinés qu’à amuser les pauvres, il n’était pas un homme à profiter de ce genre de passe-temps sans intérêt.
-Je vous prie, Monsieur, de nous rejoindre. Tout le monde peut l’applaudir ! Continuai-je.
Des applaudissent retentirent, obligé par la foule, il se dirigea vers l’escalier et se plaça à mes côtés. Je regardai la petite fille.
-Dis-moi ton prénom jeune demoiselle.
-Hélène.
-Hélène, es-tu prête à aller dans un monde merveilleux ? Plein de sucreries et de jouets ?
-Oui !! Elle tapa dans ses mains, très enthousiaste à cette idée.
Le père soupira, il n’y croyait pas. Mais c’était cela le secret de la magie, rendre les sceptiques croyants. Je pris la petite fille dans mes bras et l’allongeai sur la table au centre de la scène.
-Alors ma puce, tu t’allonges et tu ne fais plus de bruit, d’accord ?
-Oui, monsieur le magicien !
-Applaudissez fort mon assistante !
Le public applaudit, la petite fille était folle de joie. Elle m’obéit. Je la recouvris de la couverture de velours rouge.
-Maintenant, Monsieur, vérifiez qu’il n’y a aucun trucage.
Mon sourire le plus resplendissant sur le visage, je le laissai faire le tour de la table. Je détestais les gens comme cet homme, il se moquait des saltimbanques tels que moi, c’était le genre d’homme à vouloir exterminer toute la classe ouvrière s’il le pouvait. Un homme tout à fait insupportable. Il s’apprêtait à descendre, je posai ma main sur son épaule. Violant par la même occasion une dizaine de règles de savoir-vivre. Il me lança un regard noir.
-Je vous en prie, restez sur scène, Monsieur. Je n’en ai pas terminé avec vous.
-Je n’ai pas que ça à faire !
-Ne voulez-vous pas rester avec votre fille ? »

Il poussa un grognement mais resta dans le fond de la scène. C’était gagné. Je m’approchai de la table et prononçai une formule magique. La couverture se souleva dans les airs, l’un de mes assistants jouait de la flûte pour faire de la musique d’ambiance. Les spectateurs, éblouis, laissèrent échapper des soupirs d’admiration. Tom me lança ma canne, j’en sortis mon épée et m’approchai du père de la demoiselle.

« Monsieur, auriez-vous l’obligeance de transpercer la couverture de part en part ?
-Quoi ?! Jamais ?! Vous voulez que je tue ma fille ?! Ces tours sont tout à fait ridicules !
-Faites-moi confiance.
-Faire confiance à un magicien de pacotille qui porte un masque ? Pour qui me prenez-vous ?! »

Il tenta de m’enlever mon masque, je parai son geste. En moins de temps qu’il n’en fallait pour dire « quenouille », il se retrouva l’épée en main, plantée dans la couverture qui recouvrait sa fille, ma main guidant la sienne. Il se débattit mais j’étais plus fort que lui. Je fis tomber la couverture d’un geste, la fillette n’y était plus. J’approchai ma bouche du creux de son oreille et chuchotai.

« Maintenant, vous allez faire exactement ce que je vais vous dire si vous voulez revoir votre fille en vie.
Il devint pâle comme un linge. La couleur que je préférais chez les nobles. Il commença à transpirer, d’un geste, je le fis saluer la foule qui applaudit joyeusement.
-Parfait, votre fille est quelque part avec mon assistant, si vous bougez un doigt de travers, il la tue.
-Ma petite fille … Vous êtes un monstre. Lâcha-t-il faiblement.
-Peut-être bien, oui. Je vais prendre tout l’argent que vous avez sur vous et vous n’allez pas faire le moindre mouvement. Si vous avez compris, hochez la tête.
Il hocha la tête tout en continuant de saluer la foule, comme si tout était normal.
-Ensuite, je vais vous lâcher et je vous rendrai votre fille, si vous prévenez la police, je vous retrouverai et je vous tuerai, mais avant je ferai des choses inimaginables à votre chère petite princesse. Compris ?
Il hocha la tête.
-Parfait. »

En quelques secondes, je l’avais dépouillé de tous ses biens précieux et de la totalité de son porte-monnaie. J’applaudis cet homme qui avait accepté de se prêter au jeu, le public m’accompagna. Je claquai des doigts, prononçai une formule, la petite fille apparut sur le devant de la scène dans un nuage de fumée. Elle avait une pomme d’amour à la main. Les gens laissèrent exploser leur joie de voir que mon tour avait marché et qu’il était parfaitement exceptionnel. Je souris, m’inclinai, la petite fille en fit autant et descendit avec son père en lui tenant la main. En réalité, elle s’était vraiment retrouvée dans un monde merveilleux, une petite pièce en dessous de la scène, pleine de sucreries et de jouets. Je ne m’étais jamais la vie des enfants en danger mais je savais d’expérience qu’un parent ferait tout pour son enfant… A part les miens, mais cela, c’était une autre histoire. Il partit avec sa petite famille, portant sa fille qui lui racontait à quel point mon lieu magique était merveilleux. J’étais un peu plus riche maintenant. Je sautai de la scène et récoltai l’argent en tendant mon chapeau. La plupart du temps, les gens étaient généreux, même ceux qui n’avaient pas grand-chose donnaient. Je jugeai le chapeau assez plein et le posai sur la scène pour Tom et Stan. Mon masque sur le visage, je décidai qu’il était temps d’aller voir ailleurs. Les menaces ne dissuadaient pas toujours un père énervé de faire appel à la police. Mais la police ne pouvait pas m’arrêter, la plupart des gens ne connaissaient pas mon véritable visage, je n’étais qu’un magicien parmi d’autres. De plus, si vraiment elle décidait de m’arrêter, je pouvais m’enfuir. Mais c’était justement le risque d’être attrapé qui me faisait avancer. L’adrénaline, l’incertitude que mon plan allait fonctionner. C’était cela que j’aimais. Pour l’instant, je n’avais été arrêté que rarement, surtout dans ma jeunesse, pour faire tourner mon père en bourrique. Je sentis la présence de quelqu’un qui me suivait. Je me retournai, un sourire sur les lèvres.

« Pourrai-je savoir qui vous êtes et pourquoi vous me suivez ? »