« Un homme qui ne passe pas de temps avec sa famille n'est pas vraiment un homme. ».

Cela faisait deux semaines que tout avait été annoncé. Le tout premier repas de famille. De ma famille. Ma nouvelle vie, avec tous ces êtres que j'avais pu croiser à travers le temps que je savais si bien remonter. C'était étrange de me dire que j'avais de nouveau une véritable famille. Plus véritable qu'elle ne l'avait jamais été. La seule personne qui me manquerait cruellement, comme chaque jour de mon existence, serait Gabriel. Mais j'avais appris qu'il me fallait avancer et continuer de faire ce que je savais faire le mieux : aimer mes enfants. Désiré, Ben, Ian, et maintenant Zach. Ils avaient tous eu, un jour, besoin de moi, comme, au fond, j'avais eu besoin d'eux. Aujourd'hui, je les considérais comme mes propres enfants, nous étions une famille, c'est ainsi que je voyais les choses. Et comme ils partageaient mon point de vu, nous avions décidé d'effacer le passé, les mauvais souvenirs de nos anciennes familles aux débris douloureux... Pour nous retrouver plus sereinement autour d'une table et d'un bon repas que Désiré avait tenu à préparer. Prochainement, il allait ouvrir un grand restaurant en ville, que serait sans nul doute le plus fameux de tout le dix huitième siècle ! A cette pensée, un fin sourire étira mes lèvres. J'étais loin d'être le Bartholomew fourbe et manipulateur que j'étais devenu, après la mort de mon fils... Du moins, je ne l'étais plus quand il s'agissait de ces proches que j'aimais tant. Ils étaient peut-être une immense faiblesse, car j'avais extrêmement peur de les perdre, mais, au fond, ils faisaient également mon bonheur au quotidien. Sans parler de Sébastien, ce jeune qui m'attendait au 21ème siècle et que j'appréciais tout particulièrement.

Je rajustai ma cravate devant le miroir de la salle de bains et vins doucement frapper à la porte de chambre de Zach pour lui rappeler qu'il devait bientôt être prêt car les invités allaient arriver, puis je descendis en cuisine pour voir comment Désiré s'en sortait. Très bien, sans aucun doute possible. La liste était simple, il ne fallait pas que trop d'inconnus soient présents, car Zach était encore assez craintif. Ben allait sans doute convaincre son cher détective de venir s'asseoir à notre table, et ce serait déjà assez pour mon petit protégé. Ian voudrait sûrement que Dylan, son fils, vienne lui aussi. Et comme Ben prendrait sûrement Lucien avec lui également, j'étais sûr que Zach n'allait pas s'ennuyer. Il était assez attaché à ces deux jeunes garçons, devenus ses camarades de jeux. Même si Zach était techniquement plus âgé, presque adulte, il restait un enfant, au fond, ce qui était très attendrissant. Mais il allait lentement grandir et s'épanouir, une fois sa confiance en lui et dans les autres retrouvée. Ce serait long, mais je serais là encore longtemps à ses côtés. Ensuite, je pense que mon rôle sera terminé. Il me tardait, parfois, de revoir mon fils une dernière fois avant de payer le prix de mon pacte avec Lucifer et de descendre aux enfers pour l'éternité qui serait encore plus longue que ma vie sur cette terre.
Je souris doucement à Désiré qui terminait de mélanger la pâte pour le dessert et je l'aidais à monter quelques plats pour l'apéritif. Tout semblait excellent, et des odeurs délicieuses se dégageaient de ses plats. Nous posâmes les toasts et les petites saucisses sur la grande table, ainsi que le champagne et les jus de fruits pour les enfants.

« Nous voilà une véritable famille, Désiré... Ah, Zach, te voilà ! Tu es très beau dans cette nouvelle veste... Tu veux bien aller accueillir les invités quand ils arriveront ? C'est un rôle important... Et ils seront tous heureux de te voir, surtout Lucien et Dylan. »

Je lui fis un clin d'oeil et souris à Désiré. La journée allait être très belle. Je regardais Zach ouvrir la porte d'entrée pour guetter l'arrivée du reste de notre petite famille recomposée. Je venais de réaliser, pour l'une des premières fois, que j'étais, en quelque sorte, grand-père. C'était assez étrange. Il y a de nombreuses années, je n'imaginais pas cela du tout. Comme quoi... J'attrapai une photographie de mon fils, Gabriel, et le posai doucement sur un meuble pour qu'il ai vu sur la table. Il serait grand, aujourd'hui, et heureux de partager ce repas en famille.
Une voix familière se fit entendre, me tirant de mes pensées. Je me dirigeai vers le hall en compagnie de Désiré afin de voir qui Zach allait accueillir le premier.

« Un enfant bien élevé ne rote pas la bouche pleine. ».

C'était la première fois, je crois, que je m'habillais aussi bien pour une quelconque occasion. Je n'avais jamais eu le droit à de beaux vêtements, à la manière des enfants nobles, ni à de belles coiffures, ni même à du parfum. Mais, depuis que j'avais rencontré Ben, mon mentor, tout cela avait beaucoup changé, évidemment. Je n'étais plus mal traité ou regardé de haut, et c'était un continuel soulagement que d'être avec lui tous les jours. Il prenait soin de moi, me nourrissait, me faisait des cadeaux et me traitait comme son véritable fils. Je n'aurais pu être plus heureux. Et cela durait depuis désormais plusieurs années : j'étais devenu fort et n'étais plus ce gamin des rues rustres et mal élevé qu'avait recueilli Ben. Enfin, je l'espérais... Désormais, mes doigts étaient aussi agiles que les siens... Non pas vraiment, c'est vrai... Mais bon, presque quand même !
Je fis un immense sourire à mon reflet dans le miroir pendant que j'essayais de me coiffer, les cheveux en arrière, comme me l'avait appris Ben pour les grandes soirées entre nobliaux auxquelles nous participions quelques fois, et auxquelles il me présentait comme son fils. Cela me gonflait de fierté, à chaque fois. J'étais le fils d'un homme formidable, le meilleur voleur du monde – de tous les temps – qui m'aimait, et qui prenait soin de moi. Je ne savais pas trop ce que j'avais fait pour mériter autant d'attention, mais, à ses côtés, je me sentais en confiance et, surtout, en sécurité.

Je tirais la langue pour redonner un air enfantin à ce visage trop sérieux à mon goût. Je ressemblais un peu à mon oncle Ian qui se donnait des airs très froids, et très distants. Mais, au fond, je savais qu'il était gentil. Ben n'en disait toujours que du bien, et il l'adorait plus que tout au monde, cela se voyait, lorsqu'ils étaient ensemble... Et même lorsqu'il me racontait leurs aventures enfantines. J'aurais bien aimé avoir un frère moi aussi, mais plus petit, car je préférais protéger que devoir obéir. Enfin bref. Je n'en avais pas, mais j'avais de très bons amis qui faisaient presque partie de la famille, aussi. Zach, le fils adoptif de Barth (qui était aussi le « père » de Ben et Ian, mais aussi de Désiré), et Dylan, le fils de Ian, donc, en quelque sorte, mon cousin. Notre famille recomposée était d'un compliqué, hein ? ... J'aimais bien. Avoir une famille, c'était bizarre, mais c'était agréable, cela tissait des liens uniques, paraît-il. La nôtre était la meilleure, personne ne se disputait jamais. Pas pour des problèmes d'argent ou de politique, du moins, comme je l'avais observé chez les autres familles nobles.
J'attrapai les beaux vêtements que Ben m'avait acheté pour nos dernières sorties. Il se plaignait que je grandisse trop vite. C'était la première fois que quelqu'un se plaignait de cela. En effet, depuis longtemps, je ne grandissais pas à la même allure que les autres enfants. Je devais être très âgé, en vérité, pourtant, j'étais quand même, mentalement et physiquement, semblable en tout point à un gamin. Mais, en ce moment, je grandissais. Je ne savais pas pourquoi, mais c'était le cas. Tant mieux, d'un certain côté... Mais je n'avais pas envie de devenir adulte pour autant, c'était tellement plus drôle d'être un enfant, et tellement plus pratique. J'attrapai les habits que mon papa Ben m'avait préparé et les revêtis. Les nobles avaient la fâcheuse habitude de toujours avoir au moins trois couches, ce qui était encombrant et agaçant. Une chemise aux manches à fanfreluches, un petit veston, etc... Quand enfin, je mis mes chaussures, je ressemblais à un jeune dandy. Je fis un clin d'œil à mon reflet et sortis de la salle de bain pour attendre Ben et John. John étant le détective chez qui Ben vivait tous les jours, en « collocation ».

D'après ce que j'avais compris, John n'avait pas envie de venir chez M. Godric pour le repas de famille. M. Godric qui faisait office de mon grand-père, par ailleurs. Enfiiin bref, la famille était grande, et compliquée, comme je le disais puisque, techniquement, nous n'étions pas vraiment de la même famille. Je me balançai d'avant en arrière en attendant que mon père soit prêt, puis nous allâmes attendre son détective en bas des marches. Le temps d'attente me parut long, par ailleurs... Je poussai un léger soupir et attrapai la main de mon père lorsque John descendit à notre rencontre. Et enfin nous nous rendîmes chez Barth ! J'avais hâte de retrouver Zach et Dylan, nous allions bien nous amuser près du lac ! Je leur apprendrais à lancer des galets dans l'eau pour faire des ricochets ! C'était très amusant, et j'arrivais à en faire quatre, ce qui était génial. Mais j'avais rencontré un homme, une fois, qui parvenait à en faire six ou sept. John savait, lui, mais il refusait de me montrer. La seule chose qu'il m'avait grommelée, c'était « Tout est dans le poignet. » ou quelque chose inutile dans le genre... John était quelqu'un que je n'aimais pas beaucoup... Pour la simple et bonne raison qu'il ne m'aimait pas beaucoup, lui non plus.

Arrivés au manoir, c'est Zach qui vint nous ouvrir la porte. Il était très timide, en règle générale, mais il devait faire un effort car il connaissait toute notre petite famille. Je sautais dans ses bras et lui fis un bisou sur la joue.

« Bonjour, Zach, je suis très content de te revoir ! J'ai plein de choses à te montrer. »

Je n'eus pas le temps de lui dire d'avantage, car Ben prit la parole pour saluer un peu tout le monde. Je tirai la langue à Désiré car je savais que mon papa ne l'appréciais pas énormément. Alors, par conséquent, moi non plus ! Nah. Pourtant, je ne lui trouvais rien de méchant, surtout si tonton Ian en était amoureux. Mais je ne voulais pas déplaire à mon père en étant sympathique avec Désiré. Enfin passons. Je fis la bise à Barth, comme un grand noble, et regardai autour de nous. Dylan et Ian n'étaient malheureusement pas encore arrivés... Dommage.
Ben proposa que nous allions boire un peu de whisky en les attendant et un immense sourire illumina mon visage alors que je hochai vivement la tête pour approuver son choix. Il me lança un drôle de regard, mais je n'en tins pas compte. Moi aussi, je voulais goûter un peu d'alcool, je n'étais plus un gamin. Du moins, pas pour ce genre de choses, je voulais savoir quel goût ça avait et pourquoi les adultes aimaient tant en boire ! Je m'assis confortablement à côté de Zach et commençai à lui raconter les grandes aventures que nous vivions chaque jour avec mon père. J'attrapai le verre de whisky qu'il venait de me servir et le regardait avec enthousiasme. Je souris à Zach qui, quant à lui, n'avait pris qu'un jus de fruit. Je bus le fond cul sec – après tout, la couleur était charmante ! – mais je m'étouffais aussitôt alors qu'une désagréable chaleur me brûlait la gorge.

« Herk.... C'est fort ! »

Dis-je d'une petite voix cassée avant de prendre le verre de Zach pour boire son jus de fruit. Finalement, je ne voulais pas boire de l'alcool comme les grands, ce n'était pas très bon, et c'était surtout très désagréable. Néanmoins, une petite boule de chaleur se forma dans le creux de mon estomac, ce qui me ragaillardit quelque peu.

« Tiens ! » dis-je à Zach en lui rendant son verre. « Merci ! J'ai faim, Ian et Dylan arrivent bientôt ?»