Je rangeais délicatement un livre dans l'étagère. Il s'agissait d'un manga, plus précisément. Personnellement, je m'intéressais très peu à ce genre de lecture et favorisais les bandes dessinées. Je leur lançais un regard tendre et amoureux. J'aurais pu passer ma vie à en lire... Enfin ! Après avoir bu quelques bouteilles d'alcool en bonne compagnie ! Je jetais un coup d'œil à ma montre : dix-huit heures. Je finissais mes heures de service ! Libre comme l'air, maintenant ! Je serrais la main de mon collègue assit au comptoir et lui souhaitais la bonne soirée. L'air était frais lorsque lorsque je sortis du magasin, mon sac en bandoulière claquant contre ma cuisse. Je me resserrais ma veste grise autour de moi et regrettais de ne pas avoir pris d'écharpe. Je plongeais mes mains dans mes poches et mes doigts heurtèrent un paquet de cigarette. Je n'en fumais que très rarement mais un pote m'en avais fait cadeau à la soirée de la veille. J'en profitais donc pour en porter une à mes lèvres.... Mais je n'avais pas de feu ! Quel con ! me dis-je en me frappant le front du plat de ma main. Je rangeais donc la clope dans ma poche de ma veste et me remis tranquillement en marche. Le vent picotait mes joues et mon nez, faisant naître des larmes que me brouillèrent la vue. Je les essuyais rapidement et mes yeux se tournèrent vers le bar. Un p'tit verre pour la route ? Non ! Pas encore l'heure de la boisson ! Cela dit... Je n'avais guère envie de rentrer seul dans mon petit appartement déprimant ! Je m'ennuierai à coup sûr avec pour seule compagnie mon portable. Je m'arrêtais devant le passage piéton : le petit bonhomme était rouge. Je lui jetais un coup d'œil et frissonnais encore une fois. J'aurais été si bien chez moi pourtant ; j'aurais pris une bonne douche chaude, aurais mangé un bol de céréales et me serais enfouis sous mes couvertures, mon ordi sur les genoux devant un film. Cependant, à cette scène, il manquait quelque chose... Enfin plutôt quelqu'un. Quelqu'un que je n'avais vu depuis un moment, d'ailleurs ! Mon cœur s'emballa et se serra. Gabriel me manquait. Cela faisait un moment que nous.... enfin... ne nous voyions plus. Je baissais la tête et quelques mèches de cheveux tombèrent devant mes yeux.

Nous nous étions, entre guillemet, « séparés » … Si tant est que nous avions été vraiment ensemble. Je m'étais toujours dis que les sentiments n'existaient pas entre lui et moi, que ce n'était que du cul pour obtenir de bonnes notes en histoire. Parce que, durant mes années de lycée, Gabriel avait été mon professeur dans cette matière. Dès la seconde; nous avons eu une relation lui et moi. Et cela avait continué, encore, et encore... Et puis ce fut finit. Tout naturellement, après une longue étreinte. Nous nous sommes regardés et sans un mot, j'avais le sentiment que c'était la dernière fois. J'étais parti sans peine, avais fait la fête comme à mon habitude.... Et puis, un mois plus tard, mon p'tit frère me contactais pour me prévenir de la mort de notre paternel. Qu'il pourrisse en enfer. Depuis cette joyeuse comédie funéraire, je n'avais pas recontacter Gabriel. Je n'y avais plus vraiment pensé.... Alors pourquoi maintenant et avec tant de nostalgie ? Le petit gugus passa au vert et je me laissais entraîner dans la marée humaine. Dix-huit heures, c'était l'heure de pointe, après tout. Je m'arrêtais sur le trottoir d'en face et achetais un ticket de bus. Je montais dans celui qui venait d'arriver et me laissais tomber sur un siège libre; à côté d'un homme qui lisait un journal. Je sortis mon téléphone et envoyais un message à l'un de mes potes qui m'avait invité à une soirée. Ce soir, je n'irais pas à sa rencontre. Aussi étrange que cela puisse paraître, je n'avais pas eu de relation sexuelle depuis que Gabriel et moi nous étions séparés. Je n'avais jamais connu que lui, en fait... - à part deux autres dans deux soirées différentes quand j'étais en troisième. Je n'avais connu que lui aussi longtemps, voulais-je dire. Comme une... Relation. Bah ! Mes yeux se tournèrent sur les gros titres.... Rien de palpitant, c'était banal. On ne voulait pas réellement inquiéter la population, après tout. Deuxième arrêt : place St Eustace Je me levais automatiquement et descendis du bus. Mes mains tremblaient. A cause de froid. Je me resserrais ma veste, encore. Je restais debout bien après que le bus soit éloigné. Je finis définitivement trop tard.

Mon ancien lycée me parut petit. Dans mes souvenirs, il était beaucoup plus grand. Une marée d'élèves s'éloignait des grilles avec soulagement. Un flot de souvenirs traversa mon esprit. Je me voyais adossé contre le mur, clope au bec, déconnant avec Mark et les quelques autres zozos de notre bande. Qu'étaient-ils devenus aujourd'hui ? Je l'ignorais totalement... Je ne voyais encore que Mark, de temps à autre. Je savais qu'il travaillait comme mécanicien à mi-temps et que ça n'allait pas si mal que ça. Un sourire fleurit sur mes lèvres. Dire que j'avais aujourd'hui trente ans ! J'étais, en un sens, un vieux croulant maintenant ! Je franchis les grilles et eu l'impression de redevenir adolescent. J'entrais au lycée, prêt pour une nouvelle journée de cours ennuyeux que j'allais sécher, pour la plupart. Je pensais que, une fois à l'intérieur, je serais incapable de me repérer mais il s'avéra que non, au contraire ! Je me souvenais de chaque dédale. Je gravis les deux étages jusqu'au troisième. J'avais peut-être l'air d'un parent d'élève maintenant ? J’eus envie de rire tant je me voyais mal Papa, moi si irresponsable et tellement gamin moi-même. Et puis quel pédé voudrait d'un enfant avec quelqu'un comme moi, de toute façon ? Je m'avançais jusqu'à l'une des derrières portes. Elle était encore entrouverte et l'on pouvait voir de la lumière à l'intérieur de la salle. J'hésitais avant de frapper. Serait-ce plus poli ? Je ne savais pas.... Je décidais donc de m'en foutre ! Je toquais deux petits coups avant de pousser la porte sans attendre de répons. Pourquoi mon cœur batte-t-il se fort, bordel ?! J'affichais un large sourire lorsque je reconnu le visage de Gabriel. Il n'avait pas changé. Était-ce moi ou il semblait plus fatigué que d'habitude ? Bon sang... Il m'a manqué ! Mon sourire s'élargit un peu et je posais mon sac en bandoulière sur une table de cours. Je me demandais si j'avais un peu changé depuis la dernière fois... Oh, bien sûr, sans doute pas de manière flagrante... Mais j'avais de nouvelles chaussures et mes cheveux devaient être un peu plus long, je ne les avait pas fait coupé depuis quelques temps. Enfin qu'importait ! J'hésitais... Et pusi au diable l'avarice ! Je déposais un rapide baiser sur sa joue et jetais un coup d'oeil par dessus son épaule. Il était en train de corriger des copies, visiblement .

« Tu te rends compte qu'il est quand même presque dix-neuf heures ? »

Oui, Chris, tu te rends compte ? Je le connaissais si bien pour penser qu'il serait encore là à cette heure ? Je ne savais pas si cela était dans ses habitudes pourtant... J'aurais aussi bien pu tomber sur une porte close... Et fait demi-tour pour rentrer dans mon appartement, seul. Je lui fis un autre baiser – sur son autre joue, cette fois. Il m'a manqué ce con... j'y crois pas... C'est trop stupide, hein ? Ben.. Tant pis, hein ! Je lui fit un autre bisou. Ouais... C'est sur la bouche qu'il faudrait viser ! Ca, pour sûr ! Mais je ne savais pas comment il accueillerait un baiser langoureux de ma part. Dans le doute... Je m'accoudais sur son épaule et poussais un bâillement sonore après avoir parcouru ses copies des yeux.

« Toujours aussi chiant les cours ! »

Ce n'était qu'à moitié vrai ! J'avais toujours apprécié l'histoire et jugeais cette matière utile dans la vie de tous les jours. Je me défendais également en littérature... Mais c'était tout. Les matières enseignées ici, au lycée, ne m'avaient jamais passionnées.... Je m'étais toujours imaginé au chômage... Mais finalement, je me retrouvais à travailler dans un magasin plutôt chouette où se vendaient des livres et des jeux vidéos. J'adorais l'ambiance et ce business ! Ca, c'était une passion. Je souris à Gabriel et, m'étonnant moi-même, je caressais sa joue du bout de mes doigts. Nous avions entretenu une relation pendant plus de dix ans... Et moi qui avais toujours pensé que c'était seulement du cul... Enfin... Ca l'avait toujours été, n'est-ce pas ? Fff. Y'a pas idée de se compliquer la vie pour des trucs aussi cons, sérieux ! On a qu'une vie, hein... C'est sans doute pour ça que j'embrassais Gabriel et lui chuchotais au creux de l'oreille :

« Et si tu me donnais un cours... chez toi ? ♥ On a des choses à rattraper... »

Mais, bien sûr, il refusa. A quoi m'attendais-je ? C'était, en un sens, moi qui était parti un matin... Mais après tout, j'étais libre ! Nous n'étions pas en couple même si nouss passions quelques journées – ou soirées – sans sexe ! Nous étions des sexefriends, quoi.... Voilà, c'est marre. Il n'avait donc pas le droit de... De quoi ? Ne pas avoir envie de cul ? Ouais bon... Il en avait le droit, d'accord ! C'est sans doute pour ça que je lui fis un sourire. Je m'en foutais un peu. Je souriais tout le temps, de toute façon. J'avais compris depuis longtemps que c'était mieux que de pleurer, en tout cas ! Je passais une main dans ses soyeuses mèches de cheveux avant de reculer d'un ou deux pas et de m'asseoir face à lui à une table, la tête posée sur mes bras croisés.

« Bon bah alors... Je vais te regarder ! Même si c'est beaucoup moins amusant et intéressant, héhé ! je lui fis un clin d'oeil, Tu vas bien ? Moi ça va super ! T'sais bien, les soirées, les fêtes, les machins, les patins, les couffins, … Bref ! »

Je lui fit un sourire heureux. Je l'étais, après tout, heureux, en ce moment. Je songeais vaguement ç l'image que j'avais eu tout à l'heure, dans le froid. Celle de mon appartement et de moi-même, allongé sous mes couvertures, un bol de céréales à la main, mon ordinateur sur les genoux... Et cette image était beaucoup plus agréable avec Gabriel en plus, côté de moi dans le lit... Maintenant que j'y pensais, il n'était jamais venu chez moi, même quand j'eus mon appartement. C'était toujours moi qui allais chez lui... Je le regardais et lui fit un sourire en coin. A ma grande surprise, il commença à ranger ses copies et me dit d'accord. Je laissais échapper un « What ? » surpris. Je comptais vraiment rester là, à le regarder fixement jusqu'à ce ça l'agace et qu'il me mette dehors un coup de pied au cul.... Ma surprise disparue et mon visage s'éclaira. Je bondis sur mes pieds et, dès que Gabriel fut debout, j’enserrais sa taille de mes bras pour lui faire un câlin. Je ressemblais à un enfant à qui on avait promis un magnifique jouet. Je l'embrassais tendrement sur la joue, cependant. Ce que n'aurait pas fait un gosse impatient.

« Je vais te dire un secret... Tu m'as un peu manqué...» lui chuchotais-je au creux de son oreille.