« Papa, Papa ! Regarde comment je fais la roue ! » cria Marishka en s'exécutant fièrement.

Mais Papa se disputait encore avant Maman. Il ne regardait pas. Vexée, la petite fille croisa les bras sur sa poitrine et gonfla ses joues en regardant fixement ses deux parents qui se chamaillaient. Pourquoi n'arrêtaient-ils pas de se disputer ? Sans savoir pourquoi, Marishka s'écria, s'adressant à sa mère :

« De toute façon, Maman t'es une PUTE ! »

Elle ne savait pas vraiment se que ce mot signifiait, elle l'avait entendu de la bouche de l'une de ses camarades d'école et elle savait que c'était un vilain mot. Mais si ses parents se disputaient, c'était forcément la faute de leur mère. Elle était décidément trop méchante. Pour preuve, elle se retourna vivement vers la petite et l'empoigna sèchement par le bras tandis que son père, surpris, éclatait d'un rire franc.

« Qu'est-ce que tu as dis ? »
Marishka sourit, encouragée par le rire de son père.
« T'es une pute. »
Elle la gifla.
« Sale petite garce ! »
« Voyons, Maria ! » s'exclama Roberts en saisissant le poignet de sa femme et en la giflant en retour.

Marishka se mit à pleurer à chaudes larmes en posant sa main sur sa joue et se cacha derrière les jambes de son père qui se dressait de toute sa taille devant sa femme qui avait osé porter la main sur sa Fille-Chérie.

« C'est toi qui lui a appris ce mot là, pas vrai ? T'es qu'un salaud ! Ne t'avise pas à me toucher ou je porte plainte ! »

Maria s'éloigna après avoir lancé un regard dédaigneux à son mari et à sa fille. Roberts s'agenouilla devant sa Fille-Chérie et sécha ses larmes d'une grimace parfaitement ridicule. Marishka éclata de rire et lui tira la langue avant de refaire la roue. Son père applaudit et s'assit sur l'une des chaises de la terrasse. Le ciel était d'un bleu azuré, une parfaite journée pour quelques barbecue entre voisins. Sauf que, ces temps-ci, Maria avait pris la fâcheuse habitude de faire des scandales. Roberts ne pouvait pas risquer d'inviter des gens déjeuner, qu'aurait-on pensé de lui ? Marishka continua de faire des roues devant son père jusqu'à ce qu'elle s'en lasse et que son attention ne soit captée par un petit papillon qui voletait dans les airs. Elle s'élança à sa poursuite, essayant de l'emprisonner dans ses mains. Mais elle n'y arrivait pas. A chaque fois que l'insecte se posait sur une fleur, elle bondissait en avant pour l'attraper mais ses mains claquaient dans le vide. Elle ne réussissait qu'à tâcher de terre sa jupe à volant. Au bout d'une minute, elle se désintéressa du papillon et retourna sur la terrasse Son père était toujours là, il ne voulait pas rentrer pour entamer une nouvelle crise avec Maria. Il prit un air faussement sévère en voyant sa Fille-Chérie revenir toute crottée. De sa petite voix enjôleuse, Marishka demanda :

« C'est pas grave, hein, Papa ? »
« Mais non, ma puce ! »
Marishka fit un immense sourire et sautilla autour de la chaise de son père.
« Dis Papa, j'ai faim ! »

Roberts attrapa sa fille qui poussa un cri de joie en battant l'air de ses pieds.

« Moi aussi j'ai faim, et je vais te maaaanger ! Miam, miam ! »

Roberts couvrit le cou de sa fille de baisers avant de la ramener dans la cuisine pour lui préparer un bol de chocolat chaud avec des petites tartines beurrées et de miel. Sans doute attiré par l'odeur comme une mouche, Ilia déboula dans la cuisine avec un sourire. Il s'assit sur une chaise à côté de Marishka et lui piqua une tartine avant de la croquer. Roberts poussa un léger soupir et servit une tasse de chocolat pour son fils avant d'étudier ce petit tableau. Ces deux enfants étaient semblables en tous point, de vrais jumeaux, impossible de les différencier s'ils s'amusaient à échanger leurs habits...Ce qu'ils faisaient souvent... Et cela mettait Maria hors d'elle.

Malgré de fulgurantes disputes, c'était une famille plus ou moins heureuse.

* 16 ans *

« Fous-moi la paix espèce de vieille peau ! » s'égosilla Marishka alors que, à peine passé le seuil de la porte, sa mère lui faisait déjà des remontrances.

Une gifle. Marishka hurla, comme elle savait si bien le faire, d'une voix horriblement stridente. Pour la faire taire, Maria l'empoigna par les cheveux et les tira si fort que la jeune femme tomba à genoux. Elle griffa le poignet de sa mère en se débattant mais, imperturbable, Maria la projeta contre le mur avec une force inouïe.

« Sale petite garce ! » l'une de ses insultes préférée.

Marishka glissa le long du mur en caressant ses beaux cheveux. Maria serait allé plus loin si Ilia n'était pas arrivé dans ses beaux habits de dimanche. Instantanément, le comportement de leur mère changea et elle ordonna à Marishka d'arrêter de faire l'idiote et de se relever. La jeune femme releva la tête et plongea ses yeux dans ceux de sa mère. Une flamme de défie y brillait.

« Ta gueule, me donne pas d'ordres, connasse. »

Marishka se releva tout de même avant que sa mère ne perde le peu de patience qu'elle avait retrouvé et claqua la porte de sa chambre. Elle donna un grand coup de pied dans les livres qui traînaient sur le sol avant de s'asseoir devant la coiffeuse que son père lui avait offert pour son douzième anniversaire. Pendant quelques minutes, elle regarda l'image que lui renvoyait le miroir et elle ne put s'empêcher de se trouver laide. Ses cheveux blonds et emmêlés tombaient tristement devant son visage beaucoup trop pâle, ses yeux bleus-verts étaient rougies à cause de la drogue qu'elle prenait depuis à peu près un an, et elle était d'une maigreur excessive. Toutefois, Marishka ne voyait pas les choses de cette manière : au lieu de se trouver trop maigre, elle se trouvait énorme. Elle voyait de la graisse là où elle n'avait que la peau sur les os. Elle se nourrissait très mal depuis ses quatorze ans, quand sa mère lui avait enfoncé une part de gâteau d'anniversaire – que lui avait envoyé son père – dans la bouche. « Eh bien mange, de toute façon tu ressembles déjà à un laideron ! Si tu veux devenir encore plus grosse que tu l'es déjà, ne te gêne pas. » Marishka avait beaucoup pleuré ce jour là. Elle n'avait cessé de se regarder sous tous les angles dans le grand miroir de la salle de bain et avait trouvé de nombreux défauts dans son anatomie.

Marishka poussa un long soupire avant de se détourner de son reflet dans le miroir. Elle se leva, alla discrètement jusqu'à la salle de bain et ferma la porte à clé. Elle comptait prendre une douche. Elle commença par enlever son tee-shirt. Ses yeux tombèrent, une fois encore, sur son reflet. Ses seins étaient tristement inexistants et l'on pouvait presque compter ses côtes une par une sous sa peau. Elle fit glisser son pantalon troué aux genoux le long de ses cuisses, puis sa culotte. C'était à se demander comment elle faisait pour tenir sur ses jambes maigrelettes. La jeune femme monta sur la balance pour se peser. Cinquante kilos. Mon Dieu ! J'ai grossi... Des larmes roulèrent sur ses joues. Elle fit couler l'eau de la douche et entra dessous. Le contact était doux. Elle ferma les yeux un court instant avant de les rouvrir sur la blessure qu'elle avait au bras droit. C'était la marque d'une brûlure qui ne partirait sans doute jamais. Elle datait de ses neuf ans.

* 9 ans *