J'ai toujours vécut de la même manière, mais jamais comme les autres garçons de mon âge. Dès ma petite enfance, ce fut l'Hôpital. Lieu où je passerait, toutes mes futures années, le tiers de mon temps pour diverses raisons : arrêtes respiratoires, traumatisme crânien, bras cassé, cheville foulée, examens pour ma maladie, dépistages, crises d’allergie et d’asthme, greffe de cœur … Et tant d'autres choses dont je ne me souviens pas forcément. Je pourrais écrire un livre entier sur mes séjours dans ces couloirs blancs et mornes. Nous n'avons jamais déménagés parce que je devais avoir des médecins consultants qui me connaissaient et qui m'étaient familiers. Il ne fallait pas me déstabiliser encore plus quand j'étais petit. Bref...

Commençons par ma naissance. Car c'est là que tout commence pour tous êtres humain... Mais surtout pour moi. Quoiqu'il en soit – je ne m'en souviens pas mais on m'a raconté ça mille et une fois – j'étais un enfant-bulle. Pour bien vous expliquer, mes défenses immunitaires étaient presque inexistantes, ainsi les médecins ont dû me placer dans une « bulle » stérile et isolée de l'environnement afin d'éviter les infections. Les premiers mois, mes parents ne se sont doutés de rien car je possédais encore les anticorps transmis par ma mère au cours de sa grossesse. Je suis tombé gravement malade à presque un an et ai failli mourir. Les médecins ont pu traiter l'infection avant de mettre dans une petite chambre stérile où mes parents n'avaient pas le droit d'entrer. Seuls quelques médecins pouvaient venir me voir avec des masques et des combinaisons blanches. En fait... C'est parce que j'étais malade que mon frère est né. J'ai vécu les deux premières année de ma vie de la sorte, reclus dans cet endroit, coupé du monde, des gens, de la vie. J'avais un retard considérable étant donné que personne ne m'apprenait vraiment les choses. Je restais confiné dans ma bulle. Mes parents furent bien entendu autorisés à venir me voir avec mille et une précautions. Ils avaient peur de me prendre dans leurs bras. Et puis on leur a parlé de ce prélèvement de moelle osseuse... Et ils ont crée mon frère in-vitro afin qu'il me soit parfaitement identique et puisse me donner une partie de sa moelle. Sympa, n'est-ce pas ? Un enfant crée simplement dans le but de sauver son grand-frère trop fragile pour se défendre tout seul...

Pourquoi cette maladie m'a-t-elle choisi ? Maman... pourquoi je vis ? Quand je pense au futur, mes larmes commencent à couler. Me marierai-je un jour ?

« Lâche cette cigarette ! »

Maman devenait complètement folle. Et donna une vigoureuse tape sur les doigts d'Angel qui, de surprise, lâcha son mégot. Nous étions assis sur la terrasse, il faisait beau, nous mangions. J'avais seize ans, mon frère quatorze. Il ne se gênait pourtant pas pour fumer allègrement devant nos parents. Je retins un soupir et baissais la tête sur mon assiette remplie de salade verte. C'est bon pour la santé. Beaucoup d'enfants se plaignent de devoir entendre cette phrase. Moi, on me le répétait depuis que j'avais l'âge d'avaler autre chose que le lait du sein de ma mère. Et encore aujourd'hui. Mange-ci, mage-ça... Le poisson te donneront bonne mémoire, les épinards te rendront plus fort. Et bien que j'ai quinze ans, je croyais encore à ces conneries... Du moins je m’efforçai d'y croire. Maman poussa un long soupir et commença à faire la morale à Angel. Je sentais qu'une nouvelle dispute allait éclater. Je levais les yeux vers Papa qui croisa mon regard et haussa les épaules, impuissant. Il ne voulait rien faire contre Maman, jamais. Moi non plus. Nous prîmes donc nous couverts et commençâmes à manger en silence. La sauce me brûla les lèvres et la gorge, si bien je toussais. Maman s'arrêta aussitôt de se disputer avec mon frère et se tourna vers moi, des rides d'inquiétudes barrant son front. Je fus pris d'une grande lassitude.

« Ca va, mon chéri ? »

L'éternelle question. « Ca va ? ».

« Oui, Maman, ça va. »

L'éternelle réponse. « Ca va. » Mais ma mère ne s'arrêtait jamais à cette réponse. Elle se leva et s'affaira quelques minutes dans une pièce voisine avant de revenir avec sa petite trousse d'infirmière qu'elle était si fière d'avoir acheté. Elle passait pour une bonne maman qui prenait soin de son fils. Qu'on ne se méprenne pas, j'adorais ma mère. Comment pouvais-je lui en vouloir de s'occuper de moi alors que j'avais une santé si fragile ? Je n'osais jamais rien lui dire, de peur de passer pour un ingrat ou un égoïste. Maman se rassurait en me couvant comme elle le faisait. Je ne pouvais pas lui enlever ça. Elle passa une main sur mon front et commença à prendre ma température avec une bande. Je n'avais pas de fièvre, bien sûr. Elle me demanda ensuite d'ouvrir la bouche pour qu'elle puisse examiner ma gorge. Avais-je attrapé la grippe ? Mon père, de sa voix très calme, prit enfin la parole :

« Florence, et si tu t'asseyais, maintenant, que l'on puisse reprendre tranquillement notre repas tous ensemble ? »

Maman jeta un regard noir à Papa. Je baissais les yeux et attendis qu'elle finisse son examen, qu'elle range sa trousse et qu'elle s’asseye de nouveau. Je n'osais plus manger. Si je toussais, Maman allait encore s'inquiéter et ressortir son attirail. Me voyant faire la fine bouche, elle fronça les sourcils.

« Tu n'as pas faim, mon chéri ? Tu es sûr que ça va ? »
« Je n'ai pas très faim, Man', ça va... »

Elle ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose mais mon père la fit taire d'un seul regard avant de dire, toujours aussi posément :

« J'aimerai que tu manges, Florence. Morgan est maintenant assez grand pour décider quand il n'a plus faim. »

Florence ne trouva rien à redire mais des larmes apparurent au coin de ses yeux. Morgan eut un pincement au cœur et, de mauvaise grâce, il termina sa salade en étouffant les picotement qui menaçait de le faire tousser. Il but un verre d'eau entre chaque bouchée. Si bien que Florence s'en inquiéta.

« Tu sais, quand on boit beaucoup ça veut dire qu'on a des problèmes de reins ! »

Involontairement, je levais les yeux au ciel. Elle baissa la tête et une larme roula sur sa joue.

« Je prends soin de ta santé, mon chéri... Je ne voudrais pas que tu retournes à l'hôpital, tu ne peux pas m'en vouloir, n'est-ce pas ? »

Je prends soin de toi. Je t'aime. Fais attention. »

Hihi.