And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
shall be lifted nevermore. – Edgar Allan Poe.

Aucun nuage ne venait troubler le ciel bleu de l'été. Une légère brise de vent caressait les hautes herbes qui se balançaient de gauche à droite dans un frisson. Quelques grillons chantaient, seul bruit qui rompait le silence complet. Le pré donnait sur une grange dont la porte en bois était entrouverte. A l'ombre du toit, Raphaël, allongé dans le foin qui séchait encore, lisait un livre qu'il avait dérobé à sa sœur. Lui n'en avait aucun de pertinent. Sa seule vue sur l'imaginaire étaient les quelques bandes dessinées que son Oncle, Alfiero, lui avait offert. Sa sœur, quant à elle, avait hérité des anciens livres de sa mère : les contes de fées ( Grimm, Andersen, Perrault, …) les petits romans policiers menés pas des enfants rusés, et même le Chien des Baskerville de Conan Doyle. Raphaël se contentait de deux Lucky Luck, une bande dessinée française, et quelques Incredible Hulk. Il ne pouvait s’entraîner à la lecture qu'avec ses livres de cours qui ne comportaient que de maigres extraits. Ainsi, la littérature n'était pas son fort et, lorsque venait son tour de parler en cours, devant tout ses camarades, il bégayait affreusement et les pires notes lui étaient destinées.

Il referma doucement l'ouvrage et étira ses membres crispés avant de se redresser. Il enleva les brins de paille qui s'emmêlaient dans ses cheveux châtains et sortit dans le pré. Devant lui s'étendait un immense domaine : celui de ses parents. Isabelle et Roberto Albertino étaient riches. Leurs enfants ne manquaient de rien et avaient autant de place qu'ils le souhaitaient. L'été, ils passaient toujours leurs vacances dans leur maison de campagne en France, près d'une ville qui s'appelait Avignon. Raphaël aimait bien les régions françaises mais il préférait de loin le ciel d'Italie où il allaient pour toutes les autres vacances de l'année. Les températures étaient tout autre que dans leur région du Maine en tout cas, il faisait beaucoup plus froid qu'en Italie ou que dans le Sud de la France , surtout en hiver. Car c'était dans le Main, aux États-Unis, que la famille Roberto habitait le reste de l'année, dans l'une des plus belle maison de Kittery. Raphaël aimait beaucoup la langue maternelle de son père mais il ne savait pas très bien la parler : Roberto l'apprenait exclusivement à sa sœur, Sofia. Il n'y en avait jamais que pour elle. Et ce n'était pas là la jalousie d'un frère envers sa sœur mais un fait. Sofia était la piccolina principessa de Roberto et Isabelle. Raphaël, quant à lui, était... une erreur. Il avait entendu ses parents prononcer ces mots. Une erreur de jeunesse. Isabelle était tombée enceinte par inadvertance et Roberto, en parfait gentleman, homme d'honneur, l'avait épousé pour éviter les qu'en dira-t-on, et éviter à Isabelle d'avoir à élever seule un enfant. Ils étaient jeunes à l'époque, mais les parents de Roberto donnèrent beaucoup d'argent pour les aider. Et puis, deux ans plus tard, lorsque leur situation fut stable, ils mirent au monde Sofia. Leur piccolina principessa. Et Raphaël n'avait plus existé. Il était une erreur qu'il fallait oublier.

Bien sûr, Raphaël ne manquait de rien ! Ses parents s'occupaient de lui. Mais ça n'allait pas plus loin que ça. On ne pouvait pas dire qu'il était livré à lui même, mais s'il n'avait pas existé, rien n'aurait changé pour la famille. Sauf peut-être pour son Oncle Alfiero. Lorsque Raphaël était venu au monde, c'était Alfiero qui était venu à l'hôpital à la place de Roberto qui devait finir un travail urgent. C'était Alfiero qui l'avait tenu dans ses bras pour la première fois, sa mère étant trop épuisée par les efforts « inhumains » (disait-elle) produit lors de cet accouchement.